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Anaisthêsia - Antoine Chainas (2009)

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Anaisthêsia - Antoine Chainas (2009) Empty Anaisthêsia - Antoine Chainas (2009)

Message par stalker Lun 8 Mar - 20:48

Premier flic noir à intégrer un groupe d’investigations après les émeutes interraciales de l’année passée, Désiré Saint-Pierre est aussi dealer à ses heures, dans son quartier, ghetto Sud de la ville Blanche. Mais un accident tout bête vient bouleverser cette belle ordonnance. Une voiture avec Désiré dedans. Un mur. La rencontre des deux.
Le policier se réveille d’un long coma, défiguré, atteint d’un syndrome d’indifférence massive à la douleur.
Lorsqu’il reprend du service, l’enquête très médiatique de La Tueuse aux Bagues, à laquelle il était affecté avant l’hospitalisation, s’emballe et le kilogramme de cocaïne hydrochlorique dont il avait la charge a disparu. Tandis que la maladie, lentement, gagne du terrain, Désiré va suivre la voie d’Ogun Badagris, le Dieu de la guerre et de la discorde qui régnait sur l’île qu’il n’aurait jamais dû quitter...


Anaisthêsia - Antoine Chainas (2009) Anaisthesia

L’écriture de Chainas est à la fois envoûtante, à la fois énervante. Le corps du roman a les allures d’une succession ininterrompue d’ondes de choc, mais truffées de petites méthodes, de codes qui rendent un style propre, à la fois limpide, à la fois épineux. L'impression d'osciller entre Perec, Closky et Peace.

Les épines apparaissent en particulier sous la forme d’énumérations, parfois longues, laborieuses, où l’auteur consacre des paragraphes à l’étalage de vocabulaire pointu ; médical, anatomique, technique, technologique, ethnologique, ou n’incitant pas nécessairement à ouvrir le dictionnaire toutes les deux lignes, mais énervant néanmoins. C’est parfois justifié, mais souvent pesant. D’autant que tout le texte est écrit à la première personne du singulier, et qu’une telle somme de connaissances dans autant de domaines réunis apparaît vite invraisemblable. A moins que l’auteur ait omis de préciser d’entrée que son personnage narrateur est tombé dans le petit Robert quand il était gosse. A moins que l’auteur soit en fin de compte plus présent que son personnage, au point de devenir envahissant et un tantinet démonstratif.
Mais, étrangement, la lecture s’effectue de façon assez souple. On a l’impression de traverser une vaste documentation universelle, mais sans être blessé à tous les détours par notre ignorance. On file, on fait même des pointes de vitesse, on avale des chapitres sans s’en rendre compte, puisque les inconvénients précédents n’empêchent nullement un savoir-faire évident. Un savoir-écrire, plus précisément. Et un savoir-tenir-le-lecteur-en-haleine.

Anaisthêsia se déroule ici et maintenant. C’est à dire dans une société occidentale, dite civilisée, sophistiquée, pieds et poings liés par le monde marchand, la substance médiatique, la substance politique, les outils de communication dernier cri qu’on s’arrache, les gadgets, les crédits sur le dos, les immigrés rangés dans des barres HLM, le peuple global sous répression, l’argent, la coke et des vices plein le cerveau. Chainas nous déballe tout ceci (en détails, donc) et expédie son personnage un peu comme un envoyé spécial en mission périlleuse au cœur d’un monde à la fois déchaîné, à la fois compressé. Nous sommes libres de faire ce qu’on veux dans quatre mètres cubes tapissés d’écrans plats stroboscopiques branchés sur le présent et sur les âmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le volume à bloc pour étouffer le boucan des passages à tabac et les pulsations atroces de nos désirs les plus violents.

Chainas a tout prévu. Il a fait des repérages sur le terrain ou s’est drôlement bien renseigné. Les deux. Il a également pris tout un tas de précautions et, paradoxalement, progresse nu sur une lame aiguisée. Au choix (il ne cesse pas de laisser le choix au lecteur, comme pour lui jeter un défi, ou simplement l’interroger, le sonder en différé et sous couvert de roman noir, mais on ignore au final si le point de vue du lecteur importe réellement pour l’auteur - je crois qu'il s'en balance, ou estime simplement qu'il ne peut rien pour lui ; n'a pas l'intention de le convaincre de quoi que ce soit - il estime peut-être que le lecteur est assez grand pour confectionner sa propre salade).

Le narrateur en question est donc un flic noir. Relisez le synopsis, car je ne vais pas m’amuser à vous en pondre une version remixée à ma sauce. Un flic, mais d’abord un noir. Et un noir qui narre son parcours du combattant au sein d’un monde qui semble autant civilisé que sur le point de crever de tous les cancers simultanés, ça offre beaucoup de possibilités. Ça offre aussi des alibis en béton, en toutes circonstances. Ça permet d’inverser les rôles, de bénéficier de points de vue qu’on n’avait pas auparavant, qu’on n’était pas en mesure de s’autoriser ; ça permet de disposer d’un angle critique inédit et de cibles auparavant intouchables.

Anaisthêsia détient un petit quelque chose d’inadmissible, tout à fait caractéristique de l’ici et maintenant qu’il met en scène et qu'on connait tous assez bien, je crois, avec ses monstres et leurs instincts.

Versus, son roman précédent, va intégrer ma pile en attente.


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Anaisthêsia - Antoine Chainas (2009) Empty Re: Anaisthêsia - Antoine Chainas (2009)

Message par limbes Mer 17 Mar - 1:59

stalker a écrit:

"Les épines apparaissent en particulier sous la forme d’énumérations, parfois longues, laborieuses, où l’auteur consacre des paragraphes à l’étalage de vocabulaire pointu ; médical, anatomique, technique, technologique, ethnologique, ou n’incitant pas nécessairement à ouvrir le dictionnaire toutes les deux lignes, mais énervant néanmoins. C’est parfois justifié, mais souvent pesant. D’autant que tout le texte est écrit à la première personne du singulier, et qu’une telle somme de connaissances dans autant de domaines réunis apparaît vite invraisemblable. A moins que l’auteur ait omis de préciser d’entrée que son personnage narrateur est tombé dans le petit Robert quand il était gosse. A moins que l’auteur soit en fin de compte plus présent que son personnage, au point de devenir envahissant et un tantinet démonstratif.
Mais, étrangement, la lecture s’effectue de façon assez souple. On a l’impression de traverser une vaste documentation universelle, mais sans être blessé à tous les détours par notre ignorance. "

Question du soir : quel est selon toi l’intérêt de ses descriptions quasi pédagogiques, comment les interprètes-tu ? Je veux dire, ont-elles une fonction particulière, selon toi? (ancrer le roman dans une réalité, montrer que le savoir ou la technologie dépasse l'humain ou ne peuvent rien pour lui, autres?)
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