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Journées Intramuros de Cognac. Juin 2010

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Journées Intramuros de Cognac. Juin 2010 Empty Journées Intramuros de Cognac. Juin 2010

Message par edmond Gropl Ven 25 Juin - 18:32

Je rappelle le principe de ces journées. Pres d'une centaine de détenus de différentes prisons des Charentes Maritimes ont lu une selection de 6 polars et ont décerné le prix Intramuros. Il s'agit entre-autre selon les mots de l'organisateur "de restituer un pouvoir de jugement à des personnes qui l'ont perdu".
Le prix a été attribué à Antoine Cossu pour son livre "Taxi pour un ange".
Je n'ai lu aucun des ouvrages sélectionnés (sauf le mien).
Il y avait donc des rencontres organisées entre auteurs et lecteurs-détenus.
Je vous livre mes impressions (telles que je les ai transmises à l'organisateur et à son équipe).



Tentative de restitution brève de mon séjour à Cognac.



Je joue aux échecs. Je joue beaucoup. Chaque partie d’échec représente pour moi une possibilité de scénario de polar. Comme chaque polar, une partie d’échec peut-être captivante ou pas.
Un jour j’ai joué contre un dénommé Cédric. Après quelques coups, sur l’échiquier, c’était l’anarchie. Cédric faisait n’importe quoi. Il sortait ses pièces au hasard, du moins j’interprétais cela comme tel. Il n’y a pas de hasard aux échecs. Cédric jouait comme un hérétique.
Il m’a battu.
On a rejoué, il a à nouveau gagné.
Il provoquait le chaos sur l’échiquier et à partir de là, créait son propre chemin. Il n’échafaudait rien. Je ne pouvais pas analyser puisqu’a chaque coup, c’était une nouvelle histoire.
Cédric m’a dit qu’il avait appris à jouer en prison et j’ai pensé à lui durant ce séjour à Cognac.

Ce qui m’intéresse, c’est le polar et donc, à Cognac, c’est le polar (son écriture, sa lecture) et la prison (son institution, ses hommes), et pour préciser, Mon polar et la prison.

Avant de venir, j’ai beaucoup réfléchi à ce que pouvait provoquer la lecture de mon livre en prison. J’avais quelques liens possibles. Mon polar se déroule dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance. Les statistiques sont là : une bonne part des enfants, adolescents ou jeunes majeurs confiés à l’état passent ensuite par la rue, la psychiatrie ou la prison. Je me disais alors que sans doute, certains de mes lecteurs avaient fait un séjour en foyer ou peut-être avaient leur enfants en foyer. Je pensais que nous allions parler de ça.
Ca n’a pas été le cas.
J’ai compris que j’avais fait un peu fausse route lorsqu’à propos du livre de mon collègue Michel Baglin « la ballade de l’escargot », un des lecteurs à dit qu’il avait voyagé et qu’il avait apprécié cela. Ce livre que je n’ai pas encore lu (mais acheté, parce qu’au-delà de mon propre livre, les commentaires des détenus m’ont beaucoup donné envie de lire les livres de mes collègues) est une sorte de « road Movies », et que sa lecture, sans doute, provoquait ce sentiment d’évasion, ce sentiment crucial en ces lieux alors que mon propre roman est fabriqué pour provoquer un sentiment d’enfermement mental. J’ai senti à ce moment là que je n’avais pas réfléchi à cela avant de venir.

Sur les échanges à partir de mon livre, ils ont été assez brefs.
S’est posée la question de la fin. Oui, le livre est terminé, non il n’y aura pas de suite. C’est une fin ouverte, je laisse les clefs et tout les éléments pour pouvoir se recréer l’histoire.
C’est la question qu’on me pose partout.
Ensuite, oui, je me suis inspiré de faits réels lesquels sont ma vie et certains faits divers. J’y ai puisé d’importants éléments.
Ce sont les deux choses qui ont été dites à propos de mon livre. Je n’ai pas vu de différence, au niveau de la réception formelle de mon roman entre un lecteur lambda et un lecteur incarcéré et c’est tant mieux ( pourquoi aurait-du-t-il y en avoir une ? pourquoi avais-je pensé cela ?)
La différence, je l’ai vu dans les regards. Il étaient intenses.
Il y avait quelque chose comme une intimidation générale (et réciproque, c’est quoi un taulard ? c’est quoi un écrivain ?).

Là, le temps s’est arrêté. (nous étions très loin du jemenfoutisme général qui règne souvent dans les salons, rencontres, débâts autour du polar)
Nous aurions tous eu des choses à raconter, des choses précieuses .
Alors en ce qui me concerne, je ne sais pas ce que j’ai à donner (je peux donner mon livre, des cigarettes ? ) alors je prends. J’ai emmagasiné des tonnes de sentiments et d’émotions extrêmement diverses, j’ai mémorisé les visages, les lieux et les bruits.
Tout cela amorce quelque chose, je le sais pour moi (cela va amorcer un processus de création)et je crois que tout cela (cette intensité) amorcera quelque chose chez tout le monde, écrivains, détenus, participants, j’ignore quoi. C’était une expérience forte.
Voila mon sentiment d’auteur (il y a bien d’autres choses mais j’ai besoin d’organiser et là, c’est la fiction qui me semble être la forme la plus opportune pour retranscrire, et à ce titre, cette expérience m’a redonné envie d’écrire ).

Maintenant, il reste ce qui relève de mon statut de citoyen et de lecteur.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce qui semble plus relever de l’institution carcérale, quelque chose de commun à toute les institutions mais qui semble plus pesant ici. Je vois bien qu’il y a les hommes, qu’ils soient prisonniers, membres de l’institution pénitentiaire ou intervenants divers et il y a l’institution, sa hiérarchie, son fonctionnement, sa force d’inertie, sa mission et son résultat. Tout semble très difficile. Tout est opaque. Il y avait parmi nous Alain Bron, auteur de polar mais également consultant dont la spécialité est (du moins c’est ce que j’ai compris), d’intervenir dans les entreprises lorsque il y a impasse. J’ai senti qu’il y avait impasse, qu’il y avait un bloc de détenu, un bloc de gardiens et quelques personnages transversaux. Il faudrait qu’Alain Bron analyse tout cela. C’est une impression. J’ai pu saisir, à travers quelques dialogues et situations, quelques bribes du fonctionnement de l’institution, mais quelques bribes seulement, je dois encore imaginer beaucoup de choses.

(M’est revenu en tête la chanson du reggaeman Bruno Blum qui dans sa chanson « viens fumer un joint à la maison », termine ses paroles par « vive les pétards et les taulards et les matons ».
Je concède, c’est léger comme référence).

D’autant plus que pour revenir au polar, ma vision de la prison est forcement influencée par la lecture. Il y a des auteurs carcéraux : José Giovanni, Emmanuel Loi, Edward Bunker, Donald Goines ou Clarence Cooper, bien d’autres, et puis John Cheever (dont le « Falconer » est pour moi un des meilleurs romans sur le sujet, entendons nous bien, c’est un roman, l’auteur n’a jamais été incarcéré). Il y a beaucoup de bons livres de témoignage sur la prison, Charlie Bauer, J.M. Rouillan, Claude Lucas et bien d’autres, j’ai lu tout cela mais j’ai lu, hélàs, toute une série de polar (ou de séries télé, ou de film) ou la prison devient un théâtre où les enjeux semblent, pour résumer, plus proche de ceux du jeu vidéo que ceux de la vie. Là je crois qu’en temps qu’auteur et critique, il est de mon devoir de le dire et de le répéter, le polar se doit de respecter le réel (ce qui n’empêche pas de transcender la chose) et de faire attention à l’image de l’expérience carcérale qu’il restitue.

Je tiens également à saluer l’équipe organisatrice, leur transmettre mon plus profond respect pour leur travail et leur engagement.

Parmi les nombreux souvenirs stockés, j’en cite trois (les plus facilement restituables, ce sera plus complèxe pour d’autres (pour ceux « intramuros », cela prendra une forme littéraire) :
- la discussion sur le polar avec B. Bec (c’est anecdotique, mais c’est pas souvent que je peux parler de J. Thompson, G. J. Arnaud ou la paire Gourdon/Aslan)
- L’évocation du suicide en prison avec la personne qui nous a servi de guide à St Martin de Ré (un éducateur, j’ai oublié son prénom). Ses propos étaient très pertinents et j’ai immédiatement pensé a Kafka et à sa définition du suicide, laquelle est (je cite de mémoire) : » Un suicidé, c’est un détenu qui voit qu’on construit une potence dans la cour, il croit que c’est pour lui. Alors il d’évade et va se pendre lui-même »
- La phrase d’un ancien détenu qui lors de la signature m’a dit « en prison, je n’ai pas perdu mon temps »


Dernière édition par edmond Gropl le Ven 25 Juin - 18:42, édité 1 fois
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Message par edmond Gropl Ven 25 Juin - 18:37

Ci joint les impressions de deux autres auteurs présents (cliquer sur le nom) :
Alain Bron
Michel Baglin
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Message par stalker Dim 27 Juin - 1:59

edmond Gropl a écrit:
Voila mon sentiment d’auteur (il y a bien d’autres choses mais j’ai besoin d’organiser et là, c’est la fiction qui me semble être la forme la plus opportune pour retranscrire, et à ce titre, cette expérience m’a redonné envie d’écrire ).
C'est plutôt une bonne nouvelle.
Merci pour ces commentaires, je les attendais impatiemment.
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Message par edmond Gropl Dim 27 Juin - 14:19

stalker a écrit:
edmond Gropl a écrit:
Voila mon sentiment d’auteur (il y a bien d’autres choses mais j’ai besoin d’organiser et là, c’est la fiction qui me semble être la forme la plus opportune pour retranscrire, et à ce titre, cette expérience m’a redonné envie d’écrire ).
C'est plutôt une bonne nouvelle.

Il y a un truc que je pense c'est que le polar est peut-être (parce qu'il y a d'autres moyens) un des trucs les plus opportuns pour retranscrire les genres d'impressions que l'on peut ressentir en prison, du moins en visiteur. c'est valable pour d'autres lieux et situations zarbies, mais je crois plus au polar qu'en la sociologie, psychopathologie, politique etc..
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Message par Manuel Dim 27 Juin - 15:49

edmond Gropl a écrit:

Il y a un truc que je pense c'est que le polar est peut-être (parce qu'il y a d'autres moyens) un des trucs les plus opportuns pour retranscrire les genres d'impressions que l'on peut ressentir en prison, du moins en visiteur. c'est valable pour d'autres lieux et situations zarbies, mais je crois plus au polar qu'en la sociologie, psychopathologie, politique etc..
Il y a le fantastique aussi. "Le vagabond des étoiles", de Jack London, était une description saisissante des pénitenciers américains du début du XXè siècle.
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Message par limbes Lun 28 Juin - 22:26

Merci Gropl pour tes impressions. C’est très intéressant, à des tas de points de vue, notamment entre ce à quoi tu avais pensé avant et comment tu as ressenti les rencontres, finalement. Les commentaires de tes collègues auteurs, aussi

La réflexion que je me faisais en te lisant, c’est peut-être qu’au-delà des statistiques, de l’enfermement lui-même, de la condition provisoire de prisonnier, et des histoires qui ont mené à celle-ci, chaque lecteur rencontré est avant tout un individu propre, singulier.

L’autre truc que je me disais, et je n’arrive pas vraiment bien à le formuler, sur la question du réel (et notamment, comment écrire sur le crime ou la prison si on en a pas soi-même fait l’expérience), c’est que à la fois il me paraît possible de s’y projeter, et, en même temps, pas n’importe comment. C’est compliqué, parce que ce n’est pas non plus qu’une affaire de documentation extrêmement poussée, pour trouver un ton juste ou qui colle au moins factuellement avec des expériences vécues.
Ce serait plutôt comme faire l’expérience en soi, comme pousser jusqu’au bout ce qu’on porte en germes, être sincère par rapport à ça ; sans prétendre au réel absolu, mais en en prenant une part, psychiquement, je ne sais pas vraiment comment dire. Ne pas rester à la surface d’une idée de prison, d’une idée de crime, ne pas en faire ce que tu dis, un décor ou une manœuvre. Et puis je pense qu’il y a des tas de façons d’être enfermé sans l’être, ou de commettre des crimes sans le faire réellement.
Ce qui revient à envisager l’être humain non pas dans des petites cases, mais comme une potentialité, enfin un tas de petites cases infinies qui s’actionnent ou pas, et du coup, la force de la fiction par rapport au reste, ce serait de replacer les choses dans une sorte de continuum du vivant, où tout s’articule et se répond et se diffracte, sans qu’un champ ne prenne le pas sur l’autre pour tout expliquer. C’est peut-être finalement la modestie de la fiction (par essence même insatisfaisante) qui serait la plus adéquate, finalement. Enfin je dis ça mais je ne sais pas, parfois je pense le contraire (gloups).
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Message par edmond Gropl Mar 29 Juin - 12:35

limbes a écrit:Et puis je pense qu’il y a des tas de façons d’être enfermé sans l’être, ou de commettre des crimes sans le faire réellement.


Ca, les détenus nous l'ont dit: Tout le monde est potentiellement criminel. Ils le disaient a des romanciers qui créent à partir du crime et qui réfléchissent à cela. C'est étrange comme confrontation.
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Message par edmond Gropl Ven 2 Juil - 11:07

J'ai également remarqué que durant ces quelques heures de bavardage, l'auteur le plus cité par les détenus était Nietzsche et deux ou trois détenus ou ex. ont signifiés que La Philosophie les avait sauvés.
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Message par Searclaw Mar 6 Juil - 22:25

Merci pour ce retour Gropl. Muy interessante, comme lecture...
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