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Mon coeur à l'étroit - Marie NDiaye (2007)

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Mon coeur à l'étroit - Marie NDiaye (2007) Empty Mon coeur à l'étroit - Marie NDiaye (2007)

Message par limbes Lun 8 Sep - 0:24

Mon coeur à l'étroit - Marie NDiaye (2007) V-4812

« Je replie le drap jusqu’à ses jambes. Je réprime un tressaillement à la vue de la plaie mais l’odeur est alors si forte que je dois m’écarter. J’ouvre l’armoire, attrape un grand mouchoir que je noue autour de mon nez.
Ange me regarde, renfermé, morose, avec, néanmoins, un petit étirement des lèvres qui témoigne si vilainement d’une espèce de sombre délectation, de plaisir sardonique puisé dans la saleté même de la situation, que je ne peux m’empêcher de m’exclamer :
- Comme tu as changé, Ange !
- Il se peut, oui, qu’un trou dans le ventre vous change un homme, dit Ange, il se peut que la vision des morceaux de sa propre chair accrochés au manteau de sa femme par des épingles à nourrice, il se peut que ça aussi vous change un homme, c’est exact.
- C’est de la viande de porc ou de lapin, dis-je fermement. Tout va bien autour de nous. Il suffit de s’en convaincre. »


*

Je me rappelle ces petits personnages en bois avec lequel j’ai joué petite : bien campés, jambes légèrement écartés et fermement arrimés à un socle, également en bois. Quand on appuyait dessous, ils se démantibulaient brusquement, puis reprenaient leur posture initiale, dès qu’on arrêtaient.


Dans ce roman angoissant, au sens d’une angoisse sourde dont les causes (si causes il y a) se dérobent sans cesse, on entre dans la tête et le corps de Nadia, celle qui dit « je ». Nadia est mariée à Ange. Ils vivent tous deux au cœur de Bordeaux, entièrement dévoués à leur métier d’instituteur et à leur entente parfaite. Une petite vie tranquille, un peu à l’écart du monde (ils n’ont pas la télévision).

Seulement, depuis quelques temps, ils semblent être en proie à des manifestations d’hostilité, de mépris, voire de haine, des autres (voisins, passants, collègues, enfants…une masse pas vraiment identifiée).

Tandis que Bordeaux s’ensevelit sous un épais brouillard qui embrouillent les repères habituels, Nadia-je cherche à comprendre pourquoi : pourquoi son mari, une plaie purulente au bas-ventre, se meurt sans vouloir se soigner, pourquoi leur voisin – le seul « autre » qui ne s’est pas détourné d’eux – ne cesse de les engraisser avec de petits plats savoureux qu’elle ne peut s’empêcher d’engloutir, pourquoi son fils s’est éloigné d’elle et a prénommé sa petite fille Souhar, etc.
Les pourquoi se greffent sur les cloques de bizarrerie d’une réalité qui paraissait pourtant si nette, si tangible.

C’est assez terrible, car on se débat d’abord comme elle dans un monde qui perd son sens ; on en cherche un, puis on se dit finalement mais de quoi est-elle coupable, qu’a-t-elle fait, pour mériter ça ; puis on se repent, on maudit notre héritage judéo-chrétien, comme s’il fallait forcément avoir fauté pour subir la vindicte populaire ; enfin, ça et là, on entrevoit quelques vilenies. Coulées dans les fondements, elles ressortent peu à peu, et la ville opaque et poisseuse et ses êtres hostiles deviennent comme la manifestation concrète d’une conscience à retardement, totalement improductive en terme de comportement, juste destinée à hanter et vider Nadia de toute sa substance.

Comme on est dans Nadia, c’est nous que Marie NDiaye interroge : sur quel socle de légères cruautés, lâches compromissions, mensonges et ambitions délétères reposons-nous droits et fiers dans nos petites bottes fourrées prêtes pour l’hiver ?

Sur quelle sorte de pourriture s’érige nos « perfections » ?

*

J'ai beaucoup aimé ce roman, le premier que je lis de cet auteur, notamment pour son écriture très précise et happante comme le brouillard, et son absence de réponses rassurantes.
(La seule chose que je regrette peut-être, c’est le titre, qui fleure une sorte d’eau de rose désuète à l’antipode de sa nébulosité acide et perturbante.)
limbes
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Date d'inscription : 05/06/2008

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