Chiens écorchés - Georges J. Arnaud

Mon premier Arnaud.

Castella et Rouan roulent dans le sud en traînant une caravane pleine de chiens qu'ils revendront aux laboratoires médicaux ou autres. Castella, c'est le chef, le vieux. Il a un réseau de clients, des paysans, des bergers, des chasseurs, qui lui refilent une portée de temps en temps, et il ramasse ce qui erre. Rouan, c'est le jeune. Il sort de taule pour une bêtise mineure et n'est pas plus méchant que ça, le genre faible qui se laisse entraîner mais qui garde un bon fond avec un peu de moralité. Ailleurs, il y a Sandrine qui a été embauchée comme doggy sitter pour les teckels de luxe d'une patronne de salon de beauté. Sandrine aussi sort de prison et n'a pas envie d'y retourner ni de perdre son petit boulot, ce qui lui pend au nez quand les précieux teckels disparaissent.

Voilà un extrait du début qui enchantera les amis des bêtes. Dans la caravane, les chiens entassés crèvent parfois avant d'arriver à destination.

" Castella avait construit une sorte de faisceau avec trois perches. Il y avait attaché un des chiens morts, par les pattes arrière, l'avait entièrement dépouillé. Il se tourna vers Rouan, agita son couteau à cran d'arrêt:
- Viens m'aider. Tu as bien un couteau ?
- Juste un Opinel.
- Bon, attends.
- Mais pourquoi...
Castella trouva quelque chose qui ne lui plaisait pas dans la voix de son jeune ami.
- Celui-là, il fait dans les dix kilos de viande. L'autre à peu près sept. Ils auront de quoi se remplir le ventre, non ?
- Tu veux dire... ?
Il crut qu'il allait vomir sans savoir exactement pourquoi. Castella venait de fendre le péritoine blanc veiné de bleu de la bête et d'un bloc les viscères tombaient dans l'herbe. Mais il y avait aussi cette pensée que les chiens allaient manger un des leurs.
- Tu trouveras un bon couteau dans la boite à gants. Pour débiter cette carcasse.
- Je ne sais pas si je pourrai.
- T'inquiète et fais des morceaux égaux. tout ce que je te demande. Tu peux bien en tirer une trentaine de parts, non ? Il y a aussi le coeur, le foie, les rognons qui comptent pour deux parts. Démerde-toi, non de Dieu, on n'a pas que ça à faire.
Ses mains étaient rouges et même ses bras, presque jusqu'aux coudes. Rouan alla chercher le couteau, revint comme Castella détachait le chien écorché pour le jeter à ses pieds. Puis, sans attendre, il suspendit le second, la chienne beauceronne au poil sombre et au ventre plus clair, commença à découper la peau autour des pattes arrière, trancha d'un seul coup les deux et retourna la peau en tirant fortement dessus. Rouan détourna la tête mais contempla l'autre chien écorché avec angoisse.
- Je crois que je ne pourrai pas
- Hein ?
Furieux, Castella venait de se retourner. Sa moustache tremblait dans son visage gris de fureur. Son oeil bleu ne contenait pas la moindre goutte d'indulgence ou d'ironie.
- Si tu veux que les chiens bouffent c'est tout ce qu'il te reste à faire.
- Il n'y a pas quatre chose ?
- Quoi autre chose ? Tu crois que j'achète des boites peut-être ?

***
Que les braves gens se rassurent: les deux teckels échapperont à un si triste sort. Par contre, le pépé invalide qui croupit dans une ferme tandis que les enfants attendent l'héritage pour aller vivre ailleurs...

Roman écrit en 1974 et que j'ai lu dans Les intégrales du Masque.

Un polar français, qui restitue très bien l'époque et les lieux. Castella est un beau personnage d'ordure tranquille, mais il y en a d'autres: les Chabran, assassins ordinaires par lassitude, d'autres fournisseurs de chiens, toute une chaude ambiance villageoise d'un âge qu'on sent agonisant.

Ah, il y avait moins de violence autre fois, et dans les campagnes, au moins, on était en sécurité!