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L'homme qui n'avait jamais existé

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L'homme qui n'avait jamais existé Empty L'homme qui n'avait jamais existé

Message par Manuel Mer 25 Aoû - 22:52

(En ce moment, je suis très Seconde Guerre Mondiale)


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Le mois de mai 1945 étalait ses premières journées et la Bavière étirait ses montagnes, quand un camion militaire apparut sur une route. Il transportait un groupe de soldats français qui exploraient la forêt avant d’aller rejoindre leur division.
Le véhicule s’arrêta et les fantassins mirent pied à terre. Le lieutenant Gransart se plaça au bord de la route. Il releva son casque américain, avant de sortir les jumelles pour observer le panorama.
« Où sont-ils passés ? Ils en mettent du temps pour revenir. »
En effet, il avait envoyé quelques hommes en reconnaissance sur un versant voisin, car le camion ne pouvait y passer. Or, ils ne réapparaissaient plus.
« Il n’y a pas à s’inquiéter, dit le sergent Masnou en s’approchant. En voyant la topographie du lieu, on comprend qu’ils aient du mal à se déplacer. »
« Sans doute, mais vous connaissez la règle : à la moindre difficulté, revenir immédiatement à la colonne. Ce n’est pas parce que la guerre est presque finie qu’il faut se laisser aller. »
Gransart retourna au camion.
« Mettez en marche le téléphone de campagne et essayez de contacter la division. Nous risquons d’être en retard. »
Le soldat s’activa aussitôt sur l’appareil. Le lieutenant soupirait. La guerre épuisait ses derniers jours et, à l’instar de ses hommes, il attendait chaque matin la nouvelle de la cessation des combats. En attendant, il fallait continuer à fouiller les montagnes allemandes. À ce moment, la voix de Masnou l’interpella.
« Mon lieutenant, les voilà. »
Gransart remit ses jumelles. Il distingua vite une silhouette en uniforme qui marchait entre les arbres. Mais la surprise succéda à l’expectative.
« Je ne vois qu’un homme. Où sont les autres ? Ils étaient partis à quatre. »
La silhouette approcha. Quand elle fut assez près, l’officier reconnut le caporal Lopez, un brave pied-noir. Celui-ci vint jusqu’au bord de la route.
« Mon lieutenant, il y a du nouveau. »
« Je le vois qu’il y a du nouveau. Où sont vos camarades ? Avez-vous un problème ? »
« Un problème ? C’est bien possible. En fait, nous venons de faire un prisonnier. »
L’humeur de Gransart changea du tout au tout. Brusquement, il se sentit joyeux.
« Un prisonnier ? Voilà une bonne nouvelle. Ils vont être contents à la division. Et où est-il, ce type ? »
« À une centaine de mètres. Mes camarades le gardent. »
« Vous l’avez laissé là-bas ? Pourquoi ? Amenez-le ici. Nous le monterons sur le camion et l’emmèneront à la division. »
Mais Lopez ne partageait pas la satisfaction de son lieutenant. De façon étonnante, il semblait embarrassé.
« Eh bien… Heu, je dois vous dire qu’il n’a opposé aucune résistance. Nous l’avons trouvé dans une clairière. Il n’avait plus de munitions. »
« On voit ça depuis trois mois. Alors, qu’attendez-vous pour aller le chercher ? »
Lopez paraissait être de plus en plus embarrassé. Gransart fut obligé de l’interroger.
« Enfin, vous en faites une tête. Ma parole, on dirait que vous venez de perdre la guerre ! Réveillez-vous, caporal, vous êtes du côté des vainqueurs. Et de plus, vous venez de capturer un ennemi. Expliquez-vous. »
« Eh bien, mon lieutenant, voilà. C’est qu’il ne s’agit pas d’un prisonnier ordinaire. C’est un SS. »
« Un membre des SS ? Encore mieux ! Nous allons ramener un SS à la division : quelle belle journée ! »
Tel ne semblait absolument pas être l’avis de Lopez. Son visage se fermait encore. Gransart ne comprenait plus.
« Enfin, allez-vous me dire enfin où est le problème ? Cet Allemand est un SS. Et alors ? Vous en avez déjà vu, non ? »
« Mon lieutenant, le problème est justement là. L’homme que nous avons capturé est un SS. Mais ce n’est pas un Allemand. C’est… C’est un Français… »
Les quatre années précédentes avaient réservé à Gransart un bon lot de choses surprenantes et stupéfiantes, et il croyait être blindé contre tout. Mais à ce moment, il se pétrifia sur place et oublia presque le lieu, la date et l’heure. Naturellement, il crut d’abord avoir mal entendu.
« Lopez, je suppose que vous avez voulu plaisanter… »
« Non, non, mon lieutenant. Ce type est un Français, comme vous et moi. Mais il porte l’uniforme des SS. C’est pourquoi je ne l’ai pas amené jusqu’ici. Je désirais d’abord vous parler. »
« Enfin, ce que vous me dites est impossible… »
« Venez le voir par vous-même. »
« J’y vais de ce pas. Masnou, venez avec moi. Les autres, mettez-vous en position et ouvrez l’œil. »
• * * * * * * * *
• * * * *
Suivant Lopez, Gransart et Masnou s’éloignèrent vers les arbres. Ils arrivèrent à un petit taillis. Les trois camarades de Lopez formaient un demi-cercle près d’un arbre, le fusil à la main. Au pied de l’arbre, un homme était assis, adossé au tronc. Il portait la tenue de combat de l’armée allemande.
« C’est lui, mon lieutenant. »
Gransart s’accroupit. Il n’eut pas besoin de se pencher davantage pour trouver ce qu’il cherchait : sur la casquette, au-dessous du classique écusson à croix gammée, il voyait un symbole infâme. Une tête de mort. Pas d’erreur. L’emblème des SS. Son cœur se serra.
Le prisonnier leva la tête. Le lieutenant eut un deuxième haut-le-corps. Le visage était jeune, si jeune. On aurait imaginé ce garçon dans une université, en train d’étudier, et non dans ce contexte si dramatique. Sa vareuse crasseuse témoignait de la retraite épouvantable qu’il venait de vivre. Autant que ses joues creuses et mal rasées. Il soutint le regard de l’officier sans ciller. Gransart ne perdit pas de temps.
« Quel est votre nom ? »
« Je m’appelle Henri Grelet… »
Alors, le lieutenant frissonna vraiment. En effet, il avait déjà rencontré des combattants dans cet uniforme, mais ils répondaient en allemand, de façon tout à fait logique. Or, cet homme portait bien un uniforme de SS, mais il venait de lui répondre en français. Un Français… Et l’affreuse tête de mort maculait sa casquette.
Des souvenirs remontèrent à la mémoire de Gransart. Les contes fantastiques d’Erckmann-Chatrian, qu’il lisait dans sa jeunesse. Oui, c’était bien cela : il vivait un conte fantastique. Il venait de passer quatre années à se battre pour libérer la France. C’était même devenu une évidence pour lui. Et voilà qu’au fond d’une forêt bavaroise, il tombait sur un Français, un compatriote, portant l’uniforme ennemi, et quel uniforme ! Même s’il n’était guère porté sur la poésie, il se dit que ce face-à-face se révélait surréaliste. Pas une seconde, il n’avait imaginé qu’il vivrait un jour une scène pareille.
« L’avez-vous fouillé ? »
« Oui, mon lieutenant. Ses affaires sont là. »
Gransart se pencha dessus. Dans l’herbe, il vit une mitraillette déchargée. Un couteau de combat, désormais dérisoire. Une gourde vide. Une gamelle, vide aussi. Une couverture roulée. Un jeu de carte usé. Un ruban avec une Croix de Fer de 1ère Classe, la prestigieuse décoration allemande. Tout ce qu’il restait d’un périple qu’on devinait avoir été long et tragique. Surtout, il aperçut un carnet, dont il s’empara.
C’était un livret militaire du IIIè Reich, avec le grand aigle aux ailes déployées. Il le feuilleta. Et découvrit le livret de Henri Grelet. Né le 11 juillet 1923, à Doué-la-Fontaine (département du Maine-et-Loire). Engagé dans les Waffen SS le 21 février 1944, à Paris. Incorporé et formé à Sennheim (une petite ville alsacienne). Affecté en mai 1944 à la 43è SS Grenadier-Division. Suivaient quelques mentions en allemand dans lesquelles Gransart reconnut des citations pour des actes de bravoure au combat.
Il referma le livret et se retourna vers le prisonnier. De plus en plus décontenancé. Cette situation le dépassait. Cet homme était un Français, comme lui. Il venait du même pays. Il avait fréquenté la même école primaire. Il avait appris « Nos ancêtres les Gaulois », et les Fables de La Fontaine. Et il était là, en face de lui, portant le mauvais uniforme. Celui que Gransart venait de passer quatre années à combattre. Celui qui représentait pour lui le mal absolu. Comment ? Pourquoi ? Les questions se bousculaient dans sa tête.
« Où est votre unité ? »
« Elle n’existe plus, répondit Grelet d’une voix lasse. Nous n’étions qu’une dizaine. Les Américains nous ont mitraillés et mes camarades sont morts. J’ai été le seul à pouvoir m’enfuir. Mais je n’avais plus de munitions. J’ai erré dans la forêt. Quand vos hommes ont approché, j’ai préféré me rendre. »
« Je vois, je vois. Et vous étiez nombreux ? Je veux dire : les Français dans les SS ? »
« Oui. Une division, au départ. Un bataillon, ensuite. Un simple détachement, après. Maintenant, il ne reste plus que moi. »
Gransart ne pouvait plus se retenir. Il posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres.
« Mais pourquoi ? Pourquoi vous êtes-vous engagé dans les SS ? »
Le garçon le regarda un long moment. Des yeux qui brillaient dans le visage creusé. Sans doute jaugeait-il son interlocuteur. Puis il se contenta de hausser les épaules.
« Bof, vous ne pourriez pas comprendre… »
Et ce fut tout. Effectivement, Gransart comprenait qu’il serait impossible de parler davantage. Toute tentative de discussion aurait tourné aussitôt au dialogue de sourds. Dans cette forêt bavaroise, il y avait un Français appartenant au camp des vainqueurs, et un autre Français appartenant à celui des vaincus. Ils n’avaient rien à se dire. L’évidence s’imposait. Le lieutenant soupira.
« Bien, vous allez nous suivre. »
• * * * * * * * *
• * * * *
Ils se levèrent et repartirent. Grelet marchait au milieu. Son pas était lourd. Ils retournèrent au camion. Les soldats restés là-bas ouvrirent de grands yeux en découvrant le SS. Gransart le fit asseoir près de la route, sous la surveillance de deux fantassins.
« Alors, ce téléphone ? Il marche, à la fin ? »
« Oui, mon lieutenant, j’ai réussi à le mettre en marche, et j’ai la division. »
« Pas trop tôt ! Passez-la moi ! »
Il ôta le casque et colla le téléphone à son oreille.
« Allo, la division ? C’est le lieutenant Gransart. Je vous appelle car nous avons un problème… »
Il exposa l’événement surréaliste qui venait de survenir et termina en demandant qu’on prévienne immédiatement le général : il lui fallait des instructions. Ensuite, il raccrocha.
Il fit les cent pas sur la route en attendant. Les minutes s’écoulaient. Il observait les montagnes et mesurait la course du soleil. Mais les soldats, quant à eux, ne pouvaient détacher les yeux de cette silhouette couverte de l’uniforme ennemi. S’il avait été un SS « ordinaire », aucun ne lui aurait prêté attention. Mais ce n’était pas un SS ordinaire… Enfin, le téléphone sonna. Gransart se précipita pour le prendre.
« Allo… »
Aussitôt, il se raidit : à l’autre bout, il reconnaissait la voix du général. Oui, le général avait pris lui-même l’appareil. Un fait exceptionnel. Et qui en disait long sur l’émoi que la nouvelle avait provoqué.
« Mon général, on vous a expliqué ? Bien, je voulais seulement recevoir des instructions. Que dois-je faire ? »
Soudain, il se tut. Son expression changea. Les soldats virent distinctement le visage de leur officier qui pâlissait. Quand il reprit la parole, sa voix était blanche.
« Oui, mon général… Oui, j’ai bien compris, mon général… Oui, vos ordres seront exécutés, mon général… Mes respects, mon général… »
Il rendit le téléphone. Un silence total venait de s’abattre sur la route. Même la brise avait cessé de passer sur les branches. Les fantassins attendaient. Gransart ne bougeait pas. Il dut faire un effort pour se secouer. Il remit le casque. D’un pas lent, il s’approcha de Grelet et s’arrêta devant lui. Visiblement, il vivait le moment le plus difficile de son existence.
« Eh bien, je dois vous dire que… »
Grelet l’interrompit d’un nouveau haussement d’épaules.
« Oh, inutile, j’ai compris. D’ailleurs, je m’y attendais. »
« Dans ce cas, levez-vous, et venez avec nous. Vous autres, suivez-nous. Laissez trois hommes pour garder le camion. »
Ils s’en allèrent donc à travers la forêt. La marche était silencieuse. Les lourdes chaussures de guerre écrasaient les branches à terre. Gransart trouva ce qu’il cherchait : un arbuste, mince, mais bien enfoncé dans le sol. Il le secoua pour l’éprouver. Oui, le petit arbre serait assez solide pour faire office de poteau d’exécution.
Alors, il tressaillit, en prenant conscience de ce qu’il faisait. Il était en train de programmer un assassinat. Parce que c’était bien de cela qu’il s’agissait. En fait, il aurait pu mettre Grelet à genoux et lui tirer une balle dans la nuque. Personne ne serait venu lui demander des comptes. Mais lui-même tenait à conserver l’apparence d’une exécution régulière. Pour la paix de son âme.
« Attachez-le ici », ordonna-t-il.
Le prisonnier fut attaché à l’arbuste, avec les mains liées derrière le tronc.
« Formez le peloton », dit Gransart.
Les soldats montrèrent une hésitation, trahissant ainsi leurs pensées. L’officier fut forcé de le voir. Pour la première fois, il haussa le ton.
« Écoutez, ce que nous faisons ne me plaît pas plus qu’à vous. Mais ce sont les ordres. »
Les fantassins obéirent, toujours sans enthousiasme. Ils allèrent se ranger en face de Grelet. Le lieutenant leva les yeux et vit un oiseau qui prenait son envol. Quelle chance de pouvoir s’envoler. Il se surprit à l’envier. Il s’apprêtait à rejoindre ses hommes, quand il s’aperçut qu’il avait oublié un détail. Il revint sur ses pas.
« Avez-vous une dernière chose à dire ? »
« Vous y tenez ? » répondit Grelet.
« Pas vraiment. Mais c’est la règle. »
« Et que voulez-vous que je dise ? »
« Je ne sais pas. Vous ne regrettez rien ? »
« Si, d’avoir perdu la guerre. C’est mon seul regret. »
Gransart s’éloigna pour de bon. Il se plaça au bout du rang de soldats. Il garda le silence un moment. Hésitation, ou désir de donner une certaine solennité à l’événement. Il ne le savait pas. Ensuite, les ordres sortirent de sa bouche de façon mécanique.
« Prenez les armes… Chargez les armes… Épaulez… En joue… »
Une dernière seconde d’hésitation.
« Feu ! »
La fusillade éclata sous les branches. Là-bas, le corps de Grelet avait été secoué par les impacts. Il glissa le long du tronc, avant de s’immobiliser, semblable à un pantin. Gransart s’approcha. Il sortit son revolver. L’exécuté paraissait bien mort. Tant pis. Poussant le rituel jusqu’au bout, il allait donner le coup de grâce. Il braqua le revolver et appuya sur la détente. Un dernier coup de feu. Un dernier impact. Le drame était joué.
« Creusez une fosse », ordonna-t-il.
Les soldats prirent les petites pelles pliantes et attaquèrent le sol. Bientôt, un trou béant apparut, près d’un buisson.
« Enterrez-le. »
Le corps fut jeté dans la fosse. Les pelles se chargèrent de l’ensevelir. Gransart vit la terre qui recouvrait peu à peu l’uniforme maudit. Il lui sembla que la tête de mort était la dernière chose à disparaître sous la poussière. Le trou comblé, il ne restait plus rien de la scène qu’ils venaient de vivre. Seulement la petite brise sur les branches.
« Retournons au camion. »
La marche se fit en silence, comme pour l’aller. Ils retrouvèrent la route. Bien entendu, les soldats s’apprêtaient à remonter dans le véhicule. Mais Gransart les rappela.
« Venez tous autour de moi. J’ai à vous parler. »
Ils se groupèrent autour de leur officier. Celui-ci se caressait le menton en cherchant ses mots.
« Je vais vous demander de m’écouter. Cet homme n’a jamais existé, et nous ne l’avons jamais vu… »
« Quoi, protesta Lopez. Mais nous l’avons bien vu, et nous lui avons parlé. »
« Je vous répète que vous devez m’écouter. Je vous transmets les instructions que j’ai reçues. Cet homme n’a jamais existé. »
Comme quelques soldats ne comprenaient toujours pas, il dut s’exprimer plus longuement.
« Essayez de réfléchir une seconde. Dans la vie, il y a des choses impossibles. C’est ainsi. Nous sommes en 1945. Des Français dans les SS ? C’est impossible. C’est impensable. Cela ne PEUT PAS exister. Ainsi donc, cet homme n’a jamais existé, et nous ne l’avons jamais vu. Voilà ce que vous devez garder en tête. Maintenant, nous allons rejoindre la division. »
Ils remontèrent dans le camion, lequel démarra, avant de s’éloigner à travers la forêt bavaroise.
Manuel
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